SANCTUAIRES

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Au 18e siècle, les cartographes révélèrent une île au monde, minuscule point dans l’océan Indien, carte aux contours imprécis. L’écrit, fiable ou totalement fantaisiste, permet alors d’imaginer les montagnes, le volcan, les côtes, la végétation, les habitants…. Cartes et écrits nourrissent l’idée que l’on se fait du territoire insulaire durant plus d’un siècle. C’est plus tardivement, au cours du 19e siècle, que les images – dessins, peintures, estampes, photographies de l’île et de ses habitants – apparaissent contribuant ainsi à constituer une imagerie autour de la projection d’une île, d’une géographie et de ses pratiques. L’île, c’est ce profil émergeant des océans, ce territoire sur lequel les identités vont se forger au fil du temps, au travers des croyances en des ailleurs. Le premier opus de l’exposition « L’Envers de l’île » qui a été présenté au Musée Léon Dierx du 3 juillet au 20 septembre 2015, s’attachait, au sein du contexte muséal, à créer un dialogue entre les époques, entre les œuvres historiques et contemporaines et à montrer la richesse des collections artistiques de l’île. Dans la continuité de cette première approche, l’exposition présentée à l’Ecole supérieure d’art de La Réunion précise un axe curatorial déjà abordé en s’attachant au territoire constitutif de l’île, celui des hauts, des cirques, les véritables cœurs de l’île. Cet espace géographique, générateur d’un imaginaire prolifique, nourrit l’iconographie de La Réunion depuis le 19e siècle. Les artistes s’en sont toujours emparés et aujourd’hui encore ils y trouvent un espace de prédilection. Il ne s’agit pas de montrer une quelconque face cachée de l’île, mais bien de porter sur le visible de l’île un autre regard, de s’attacher à des points de vues d’artistes qui nous permettent de ressentir toute la complexité et la richesse d’une culture, d’une identité. Centre de cette exposition, l’œuvre de Stéphanie Hoareau, Bélouve, est une peinture de 9 m de long qui nous plonge directement dans ce territoire, ces cœurs de l’île, remplis de sanctuaires, ces lieux devenus sacrés. Ces sanctuaires, lieux ou édifices, dédiés aux croyances, révèlent des dimensions spirituelles et poétiques. Véritables pièges, lieux réels ou imaginaires ; la plaine des sables, le Bernica, la Glacière, Piton tortue, ils nous ramènent à une île rêvée, projetée en dehors de ses limites. Ces lieux sont aussi les racines constitutives d’une histoire, celle de l’esclavage, celle des mythes fondateurs. La superposition des époques, la diversité des formes et des médiums contribuent à matérialiser au sein d’un espace d’exposition, lieu commun de la relation, un territoire qui est également celui du «Tout-monde » d’Edouard Glissant, dans sa diversité physique et dans les représentations qu’il inspire. Les artistes ont toujours eu cette capacité à mettre à jour un processus de contacts, de relation, à filtrer notre société, à ne retenir d’elle que l’essence intrinsèque de ce qui la constitue. Dans cette exposition, ils nous donnent à penser la créolisation comme un nouvel imaginaire capable de nourrir les poétiques diffractées du chaos du monde actuel. Cette pensée du métissage conçue à l’image d’une géographie complexe, éclatée, d’espaces en relation et en tension, est celle qui, dans le contexte de la mondialisation, permettra de préserver la richesse de nos diversités. Nathalie Gonthier
Enseignante en Histoire de l'art contemporain
et commissaire indépendante

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