SANCTUAIRES

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Ombre, de Yohann Quëland de Saint-Pern « J’ai le temps, que c’est long ! », pourrait s’écrier le spectateur à la suite de Lol.V.Stein, héroïne d’un roman de Marguerite Duras. Ombre de Yohann Quëland de Saint-Pern est une vidéo présentée sur grand écran, durant 45 minutes environ. Il s’agit d’un plan fixe en temps réel et sans montage, sur un paysage de La Reunion. L’espace déroule son immensité et le jour prend le temps de se mettre en place, lentement, sur la Plaine des Sables. C’est un plateau des Hauts de l’île de La Réunion, une immensité lunaire composée de sable et de pans de montagne, en contrebas d’un volcan actif, le Piton de la Fournaise. L’artiste nous invite à suivre le lever du Soleil, sur cette étendue. Nous sommes là où la vie humaine n’est sans doute plus possible. Seul le passage est autorisé. La déambulation. Ici, les éléments ont repris le contrôle du temps. Un temps hautain, paresseux, qui n’obéit qu’à sa propre règle : durer et se dérouler un peu. Rien ne le presse à dégainer les secondes. Ce temps hautain produit ses entités, ses surgissements : du rempart se détache une ombre qui vient lécher le sol, sur quelques kilomètres. Le temps de la nature peut être plus appliqué que celui de l’homme, dont la conscience bouscule les instants, saute d’un objet à un autre, d’un affect à l’autre…Ici, la vidéo vient contrarier la fuite en avant de la conscience et se caler sur un plan fixe. Elle nous force à une contemplation dont nous n’avons, ni forcément l’envie, ni forcément le temps. Un arrêt du souffle. Le jour se lève sur la Plaine des Sables, et de l’ombre à la lumière, le paysage passe doucement. L’artiste nous invite à saisir de la forme pure du temps, peut-être, quand le mouvement est à peine perceptible et que l’espace écrase la succession des instants, quand l’ardoise semble vierge, que rien ne perturbe le cadre de la vie… c’est là que l’événement peut se produire, que l’homme entre en scène pour décréter la succession des phénomènes. Quand il fera jour plein, peut-être. Commencer par soi-même une série d’actions, briser la loi de la torpeur, c’est ce dont l’homme est capable. Il a l’impression d’être grand. Le jour se lève et sur la Plaine des Sables, la silhouette minuscule d’un personnage qui marche, apparaît au loin. L’artiste au loin, reste minuscule. Il suit l’espace et le temps purs, tels qu’ils s’imposent à lui, il se balade sur les lignes de la perception, sans rien contrarier de leur géométrie. Il suit la ligne d’ombre, pour lâcher-prise, se fondre dans le flux cosmique. Ici et maintenant. Au risque de ne plus exister. Sur cette frontière mouvante, le funambule éprouve la virtualité de sa présence au monde. Aude-Emmanuelle Hoareau

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